Langue des bois
L'arbre perçoit son environnement et y réagit. "S'exprimer" pour l'arbre, passe par des moyens différents de ceux de l'humain, mais l'air est notre environnement commun. Dans l’air, nous partageons des formes de respiration, la perception du vent, mais aussi de certains sons, qui entraînent des adaptations dans le comportement des plante.
Les recherches du PIAF sur la thigmomorphogenèse montrent l'adaptation du bois aux vents. En collaboration avec Adelin Barbacci., ils ont développé un logiciel, Kineplant, qui matérialise en temps réel le comportement des feuilles au vent d’un individu arbre spécifique. C’est ce logiciel de tracking spécifique d’un sujet plante qui a été à l’origine du projet d’installation. La Labomédia à Orléans, partenaire de plusieurs installations de Shoï, a participé à créer deux outils adaptés et liés qui constituent la structure sonore, visuelle et numérique de ces échanges.
Pour entrer un peu dans le temps de l’arbre, peut-être faut-il s'arrêter près de lui et lui poser des questions ? Ces questions seraient probablement celles que les humains se posent à eux-mêmes... Ralentir... Et surtout, écouter sa réponse ? L’espace imaginé par Karine Bonneval et Shoï se présente comme une alcôve chaleureuse, dessinée pour s’installer confortablement avec un ensemble de trois arbres tropicaux. Ces ficus sont choisis pour leur adaptabilité à l’environnement humain mais aussi pour leur partenariat millénaire avec notre espèce, ils constituent une petite assemblée.
" Langue des Bois " est une proposition intérieure pour imaginer un dialogue inter-espèces, une forme expérimentale partielle et imparfaite. L’installation est avant tout un prétexte pour passer du temps en compagnie de végétaux, d’observer et d’écouter ce que produit une interaction potentielle avec eux. Le signal vibratoire envoyé à l'arbre ne nous assure pas d’une complète « réception » du sujet végétal. De même, la réaction et le système de transposition en réponse ne saurait satisfaire le cartésien, interrogeant plutôt l'esprit libre et ouvert par sa poésie. Ainsi les coordonnées transposées en un flux sonore forment, plutôt qu’une réponse anthropomorphisée, un oracle, qui par définition reste obscur pour celui qui vient l’écouter. Ce qui pourrait être la réponse de la plante aux interrogations de l'humain est un traducteur imparfait, une invitation à l’introspection.
L'installation assume ses limites, en adaptant le processus à un espace réduit, intime, à même d'accueillir le retour en soi, l'écoute et la concentration. Car ce projet artistique commence là où la science s'arrête : l'utilisation de végétaux reproduits en serre et élevés en pots ne font pas la forêt. Les artistes se posent ici en tricksters, cette sorte de démiurge habité par des pulsions contradictoires. Solennel et comique à la fois, il emploie la ruse pour arriver à ses fins. Il fixe les règles et s'empresse de les transgresser. L'expérience simplifie l'écosystème à l'échelle de l'espace d'exposition. Parler de nos échanges avec des plantes d'intérieur, domestiquées, est un raccourci certes, un peu réducteur mais assumé, des détours que doivent prendre les formes artistiques.
Ce projet a été soutenu par la résidence mille et un plateaux en 2021, par la résidence Ursulab, la DRAC et la Région Centre Val de Loire en 2022.